Le carillon de minuit

Un son de cloche

Extrait du Bulletin des Anciens Élèves de l'École Pratique (mars 1990)

L'histoire doit apporter un témoignage sur l'expérience qu'elle relate et dont chaque lignée de la société se doit d'être digne des bonnes actions et de prendre en charge les actions moins exemplaires.


L'église de Saint André le Haut 
Dans une coupure d'un journal ancien, retrouvée par hasard. nous trouvons le récit d'une affaire étrange et oubliée.
Explorant les combles du pensionnat de l'Ecole Pratique, ancien domaine des Jésuites, des internes découvrirent un jour, dans une partie sombre et encombrée, un passage camouflé reliant l'école au clocher de Saint-André-le-Haut. A la suite de cette découverte stimulante pour l'imagination, un soir, à minuit, dans le silence de la nuit, un petit commando alla ébranler les cloches et réveiller tout le quartier. Le surveillant du dortoir, sans ajouter de la lumière au bruit, regarda vaguement les lits du bout du couloir et, dans la pénombre, ne vit que des pensionnaires, les couvertures remontées ou le nez dans l'oreiller, qui semblaient dormir du sommeil de l'innocence. Le premier arrivé sur les lieux fut le curé Lambert, en chemise de nuit, venant voir ce qui se passait dans son clocher. La porte de l'église fermée, personne dans le clocher, le diable n'avait pu passer que par le haut, mais comment ? Les coupables ne furent pas repérés tout de suite.

Un peu plus tard, Monsieur le curé, cherchant à éclaircir le mystère, finit par découvrir le passage qui, en partant du clocher, pouvait amener au dortoir du technique, où les coupables devaient se trouver. Une sanction, même tardive, devait s'imposer suivant la règle.
Ce fut cependant M. le curé qui prêcha la clémence, lui qui n'avait pas hésité à traverser la place du Collège en tenue légère pour faire la chasse à Satan. Il désarma complètement le courroux du surveillant général, en lui disant qu'il regrettait de n'avoir plus quinze ans, car à cet âge, si pareille aventure s'était présentée, il aurait été de ceux qui auraient tiré le plus fort sur la corde. Le passage fut muré par les soins de l'école. Les questions posées par le voisinage se heurtèrent au mur du silence. Pareille plaisanterie avait-elle déjà été faite ? C'est possible, mais sûrement pas par un accès aussi secret. Une voie était retrouvée, celle des Jésuites, peut-être. Pour que la vérité soit connue entièrement, il fallut bien une faille, sans doute un mot lâché dans un moment d'euphorie, pour qu'un journaliste à l'écoute, et par des questions équivoques ou semblant anodines, reconstitue l'affaire pour la livrer dans un journal de 1951, bien longtemps après l'aventure, et cependant largement relatée avec un esprit espiègle, dans la chronique de Vienne. Pas de date et pas de noms cités, seulement le récit se voulant cocasse d'une, affaire dérangeante retombant sur le technique. Où peut mener l'esprit de recherche et la curiosité ? Est-ce là une bonne tournure de ce sens de la camaraderie, du travail d'équipe, de l'entraide mutuelle, de la solidarité dont nous ressassons constamment l'exemple méritoire dans nos propos. Si personne ne fut puni suivant sa faute, parce qu'un brave curé, dans son élan d'humanité, avait su, pour la circonstance, se faire l'avocat du diable, il n'en reste pas moins vrai que les coupables de cette affaire, maintenant confessée, s'étaient déjà, par eux-mêmes, fait sonner les cloches.