La fête du Collège en 1954

Article paru dans le journal "Le Dauphiné Libéré" en date du vendredi 2 avril 1954


HIER AU THÉÂTRE

Pour leur gala annuel les collégiens de Ponsard ont fait appel à Giraudoux


Voilà une douzaine d'années Jean Giraudoux venait méditer sur le passé du Théâtre Antique de Vienne : il y séjournait de longues heures.
Il y a dix ans que l'homme magique du Théâtre en France, est décédé, en pleine occupation de Paris. Giraudoux n'eut pas le temps - ou on ne lui laissa pas le temps - de voir se lever l'aube de la Libération.
Dans l'œuvre déjà importante qu'il a laissée, une pièce fait date :
- La Guerre de Troie n'aura pas lieu !
Estimant avec Giraudoux... " qu'une minute de paix, c'est bon a prendre " les collégiens de Ponsard ont justement choisi cette œuvre pour la représentation annuelle qu'ils offrent à leurs camarades d'abord, puis à leurs familles. Le tandem professoral Argaud- Dutrait - un tandem de qualité morale et intellectuelle - a aiguillé, dirigé, façonné, élevé les jeunes interprètes jusqu'au niveau que nous venons d'apprécier et d'applaudir.
Ce n'est point perdre son temps que de jouer, de comprendre et de faire comprendre Jean Giraudoux.

" LA GUERRE DE TROIE
N'AURA PAS LIEU "


La pièce de Giraudoux, représentée pour la première fois en novembre 1935, a été, moins de quatre ans avant la guerre de 1939 un grave examen de conscience devant le problème moral de la guerre.
Dans un état du monde plus angoissant encore, elle retrouve aujourd'hui, une singulière résonance. La plupart des répliques portent aussi fortement qu'elles portaient en 1935.
Giraudoux, avec les grâces subtiles de son style et la netteté vigoureuse de sa pensée, a transposé dans le cadre mythique de la guerre de Troie, les situations tragiques d'où la guerre sort presque inévitablement.
" La guerre de Troie n'aura pas lieu ". C'est le premier mot de la pièce. Il est adressé par Andromaque (la très " tragédienne " Ginette Faget), la femme du chef militaire Hector (un Claude Vergnes, encore plus en forme que dans Créon) à sa belle-sœur Cassandre (la jeune collégienne Marie Ohanian), prophétesse du malheur. L'incident qui oppose les Grecs aux Troyens (le rapt d'Hélène par Pâris) sera réglé. Cassandre prédit au contraire que la guerre aura lieu : " Je tiens compte de deux bêtises, celle des hommes et celle des éléments ".



Le groupe de l'ensemble des interprètes de la "Guerre de Troie" devant la "Porte de la Paix"...
Photo "Dauphiné Libéré"



DE BELLES SCÈNES AVEC
UNE BONNE INTERPRÉTATION


De belles scènes se succèdent.
Hector revenu d'une guerre contre les Barbares d'Asie, explique à Andromaque pourquoi il n'aime plus la guerre. Il demande à Pâris (Alain Roux) de rendre Hélène (Claude Journet, très dans son rôle). Celui-ci refuse, appuyé par le Roi Priam (Gllbert Roche) et les vieillards de Troie, tous amoureux d'Hélène. Il demande à Hélène de partir de bon gré. Il se heurte à la faiblesse obstinée d'une femme soumise aux événements existants.
Le second acte (la pièce n'en a que deux) est plus riche encore en traits devenus célèbres : le rôle néfaste des poètes, le rôle inopérant des juristes.
L'invocation des morts par Hector au moment ou il va fermer les portes de la guerre. La réponse d'Hécube (Nadia Granier à la belle diction et qui porte) à Priam qui craint que ces portes ne soient ouvertes dans une minute. Une minute de Paix...
Enfin la négociation entre Ulysse (Alain Bujard, magnifique de prestance) et Hector. Et au moment où les choses semblent arrangées, l'incident truqué (comme toujours !) qui déclenche la guerre.
Jamais l'art de Giraudoux n'a été plus parfait, jamais non plus l'art de Jouvet, qui jouait le rôle d'Hector lors de la création.
Les élèves du Collège ont eu le beau courage d'essayer leur talent dans cette pièce haute et difficile. Leur travail et la leçon qu'ils donnent ont porté.



Traditionnellement, la représentation du jeudi, sorte de "générale" destinée en priorité aux Collégiens dont c'était la journée de congé, était suivie par une deuxième en soirée, le samedi suivant. Or il advint que les ayant-droit de l'auteur s'opposèrent formellement à la représentation par la troupe du Collège Ponsard, au motif qu'un droit d'exclusivité avait été accordé par ailleurs. La Société des Auteurs notifia cette interdiction, et la soirée du samedi 3 avril ne put avoir lieu, au grand dam des parents des acteurs qui s'étaient fait une joie de voir leurs chers petits sur les planches...